Journal d’une confinée #23 : comment leur dire ?
Mercredi 8 avril
Confinement : J23
Ressenti : un moment suspendu
Cher corona,
Qu’on soit confiné ou pas, y’a des moments qui ne changent pas. Ce moment, c’est cet instant au petit matin où les enfants encore les yeux remplis de sommeil viennent se nicher dans le lit parental. Rassure-toi, ça dure rarement plus de dix minutes dans le calme. On se retrouve vite en tant que parent, une fesse hors du lit et un pied d’enfant dans les dents (va savoir comment !). Toujours est-il que j’aime ce moment privilégié en famille et que c’est l’une des raisons pour lesquelles je leur dis souvent : «prends ton temps, ne grandis pas trop vite !».
Aujourd’hui, c’était l’un de ces moments qui ne changent pas. En plus, on était mercredi et un mercredi de confiné, c’est aussi bien qu’un dimanche « de la vie normale ». Entre deux négociations avec la plus petite (« non, je ne mettrai pas Pegga Pig sur mon téléphone »), l’une de mes filles me dit :
« Le corona, c’est vraiment grave, maman, dis ? »
Je me suis rendu compte que c’était bien l’une des premières fois qu’elle me parlait de toi. Comment leur dire…
Comment leur dire que oui, c’est grave, qu’on ne sait pas trop de quoi demain sera fait, qu’on ne sait pas trop si on va rester en confinement pendant des millénaires (oui, je n’étais pas trop optimiste ce jour-là), que cette « guerre-là » on ne la connaît pas et que dans l’histoire on ne sait pas bien la tête qu’a le méchant ?
Comment leur dire qu’on s’inquiète pour elles un peu plus que d’habitude (et même si on est à l’abri), qu’on s’inquiète aussi pour leurs grands-parents, leurs arrière-grands-parents, nos familles et puis un peu aussi pour nous et qu’on espère toujours que la vague nous épargnera ?
Comment leur dire qu’on n’aime plus les simples petites toux, qu’on est devenu des fanatiques de la prise de température (même si on s’est grave calmé depuis le début du confinement), qu’on se sent vraiment impuissant et que pour une fois on n’a pas la réponse à toutes les questions ?
Comment leur dire que certains de nos proches risquent leur santé à s’occuper de celles des autres, qu’on a des métiers qui ne sont pas si utiles que cela, qu’on ne sait pas trop ce qui se passe dehors à part ce qu’on nous raconte et qu’on espère qu’on ne va pas s’en sortir trop amochés ?
Comment leur dire qu’on a l’impression d’avoir abandonné tout le monde, qu’on ne sait pas trop quand on va revoir la famille, la maîtresse, les copains, que ce n’est pas les vacances même si ça y ressemble et que « non, on ne peut pas inviter le petit voisin à venir jouer dans le jardin » ?
Comment leur dire qu’on vit un moment inédit, mondial et historique, qu’on tente de leur faire l’école comme on peut, qu’on n’est pas si calé que cela sur les tables de multiplication, qu’on tente de travailler entre deux et qu’il ne faut pas nous en vouloir si on n’y arrive pas si bien que cela ?
J’ai souri et je lui ai surtout dit qu’il y a pire comme situation, qu’on n’a pas des bombes qui tombent sur la maison, qu’être confiné ensemble ce n’est pas si mal, qu’on a la chance d’être là dans une jolie maison (et d’avoir du réseau), que c’est peut-être le moment de se concentrer sur l’essentiel (sans oublier les devoirs non plus, il ne faut pas abuser). Elle a paru satisfaite de ma réponse et me dit : « et maintenant on peut mettre Peppa Pig ? »
Vraiment y’a des moments qui ne changent pas, confiné ou pas.