Samedi 11 avril

Confinement : J26 // Ressenti : le bout du monde

Cher corona,

Je ne crois pas que je méritais cela. Je ne crois pas que les autres le méritaient non plus d’ailleurs. Moi, j’imaginais plutôt mon mois d’avril au bout du monde qu’au bout de mon jardin. Surtout vu le calendrier de cette année placé sous un excellent auspice pour les jours fériés.

D’ailleurs, je commence vraiment à penser que ta spécialité est de nous faire tourner en rond dans notre salon, plutôt qu’en rond autour du monde. T’aurais pas pu choisir l’année où le calendrier était tout pourri.

Bon, à cause de toi, ma bonne résolution de la nouvelle année tombe à l’eau. Et je ne te parle pas de perdre quelques kilos et d’arrêter de dire des gros mots. Ça, j’ai abandonné depuis mon entrée dans le nouveau millénaire. Ma bonne résolution, c’était de quitter un peu mes 4 murs pour profiter de ma famille et du pays, nous qui occupons la plupart de nos week-ends à bricoler… au bout de notre jardin. Bon, pour profiter de ma famille, ça va, je profite bien. C’est plutôt pour le fait de profiter du pays que je repasserai.

Donc j’imaginais plutôt mon mois d’avril au bout du monde qu’au bout de mon jardin. A cette heure-ci même, on devait même être sur la route toute la sainte journée, la voiture remplie jusqu’aux vitres de bagages, les filles jusqu’au cou de bonbons. Monsieur au volant râlerait de ma playlist un peu trop rétro à son goût (« Tu ne peux pas mettre un autre truc ? Les Fatals Picards, c’est bien ça, ça fait bouger !»). Quant à moi, je passerais le voyage en chantant, les jambes coincées entre le sac du pique-nique et la portière.

On serait parti à l’aube pour « être sûr de passer Paris ». On aurait même aperçu un petit bout de la Tour Eiffel. Une des filles aurait pleurniché parce qu’elle ne l’aurait pas vue, une autre aurait demandé « quand est-ce qu’on arrive ? » et la petite dernière aurait eu envie de faire pipi. Je me serais retrouvée à faire la queue dans les toilettes d’une station-service et monsieur aurait pris un café à prix d’or parce que « les pas chers ne sont vraiment pas bons ». Et puis, nous serions arrivés dans notre autre maison, celle du bout du monde. Enfin plutôt celle du bout de notre monde.

Oui, quand je dis que je m’imagine au bout du monde, ce n’est pas vraiment le bout du monde. Quoique tout dépend où l’on se situe, le bout du monde pour celui qui est déjà au bout du monde, c’est un peu ici son bout du monde, non ? Bref, mon bout du monde à moi, c’est sous les pins et au bord du lac. Y’a l’océan pas loin, des promenades sur un ponton en bois, une librairie sympa, du sable fin et des glaces au chocolat.

Tu vas me dire que je parle bien de choses futiles, quand on sait que toi tu fais le tour du monde, que tu tues du monde sur ta route jusqu’à donner à mon monde des allures de fin du monde. Alors on ne va pas en faire tout un monde, mais moi aujourd’hui sur ma route j’ai envie de grand air et de glaces au chocolat. Pas grave, cette année, il me reste le bout de mon jardin. Et c’est déjà très bien !