Journal d'une confinée

Journal d’une confinée #34 : tradition ­la la land

Dimanche 19 avril

Confinement : J34 // Ressenti : un malabar à machouiller

Cher corona,

Good morning / good morning / good morning to you

Ce matin, raté pour toi (et un peu pour les confinés avec moi) : je suis d’humeur chantante. J’ai rêvé que je vivais dans une comédie musicale. Bon, ma fille qui s’est déclaré une passion pour Lalaland et sa chanson-phare n’est pas étrangère à tout cela.  La comédie musicale, tu sais, est ce genre de films bien particulier qui mêle comédie, chant, danse et claquette (et oui, claquette !). La plupart du temps, ça dégouline de bons sentiments, comme un bonbon bien trop collant. Toi qui es assez collant, tu devrais adorer.

Souvent, les comédies musicales divisent la population en deux clans : ceux qui adorent et ceux qui détestent. Moi, avec mon esprit un peu original, je te laisse deviner dans quel clan je me sens le mieux. Alors ce matin, tout était prétexte à chanter, car Chanter, pour oublier ses peines, / Pour pouvoir dire “Je t’aime…” / Mais chanter tout le temps…

Il faut dire que les comédies musicales, ce sont un peu des traditions familiales. Les traditions familiales, ce sont ces petits moments récurrents, des petites habitudes qui se transmettent de génération en génération, une sorte de doudou réconfortant, une petite madeleine de Proust… Je ne parle pas des traditions trop ancestrales ou un peu trop figées qui t’empêchent d’avancer, je parle de traditions qui se transmettent et que tu aimes transmettre à ton tour.

À la maison, les comédies musicales font partie des traditions des vacances. Pendant que maman repassait (tradition qu’elle n’a pas réussi à me transmettre soit-dit en passant), elle repassait souvent aussi à la TV une comédie musicale. Du canapé, je regardais ces drôles d’acteur danser et chanter sur des sujets aussi vastes et variés que l’amour, l’amitié, la confiance en soi, la fraternité, les méchants pas si méchants, l’espoir, l’avenir… Je t’ai prévenu : ça dégouline de bons sentiments !

Y’a la comédie musicale qui te donne envie d’avoir une grande famille en Autriche,

Celle qui te donne envie de tomber amoureux sous la pluie en faisant des claquettes,

Celle qui te ferait bien retourner au lycée, une veste sur les épaules,

Celle qui te donne l’idée de monter un cabaret après être passé par la case prison,

Celle qui te fait demander si la “City of stars / Are you shining just for me ?”

Toutes te donnent envie de pousser la chansonnette pour un oui ou pour un non et la plupart te redonnent le « smile ». Et en ce moment, on en a tous besoin.

Surtout ma fille. Aujourd’hui, c’est sa fête. Notre tradition à nous, c’est fêter ce jour rien qu’à elle. Il faut dire qu’à la maison, les enfants sont tous nés entre la pose du sapin et la bûche de Noël. Il fallait bien leur trouver un jour spécial à chacun. Face à sa petite mine tristounette de passer à côté du traditionnel resto de son choix, j’ai décidé de ressortir les bonnes vieilles traditions avec une comédie musicale.

Claquette dans les flaques, danse dans les rues, vibes dans les voix… Tout y était. Une des filles a demandé : « pourquoi ils chantent encore ? ». Monsieur a ricané.  « Tu imagines si nous vivions dans une comédie musicale ? », m’a rétorqué mon autre fille, qui a sans doute plus hérité de ma fibre artistico-sentimentale. Monsieur a encore ricané. J’ai repensé à ce restaurant complétement dingue sur Broadway dans lequel j’avais réussi à emmener monsieur et où les serveurs poussaient la chansonnette en plein milieu du service. Là aussi, monsieur avait ricané. Moi, j’avais adoré. Oui, j’imagine bien et ça serait dégoulinant, dégoulinant comme un gros bonbon. Et de temps en temps, les bonbons même les plus collants sont réconfortants.